Traduction d’un article paru dans la revue culturelle mexicaine Plural 266 novembre 1993.
Être prisonnier d’un courant artistique déterminé signifierait pour moi m’imposer des limites et m’obligerait à me cerner dans une sphère de formes stylistiques déterminées ; cela veut dire que cela me fausserait. Alors je réclame carte blanche. Bien sûr, je souffre de fascinations diverses et probablement des influences qui en résultent.
Surtout Witkacy, plus précisément ces portraits. Witkacy a peint une série de portraits sous l’influence de produits hallucinogènes. Il me semble que, de cette façon, il a pu peindre ses propres visions sans être contaminé par des influences extérieures. À travers les figures de Witkacy, le portrait m’a intéressé comme genre artistique avec d’énormes possibilités expressives. Le portrait vu, non comme multiplication des ressemblances, mais comme l’expression du visage humain.
J’ai voulu créer le portrait qui serait une fusion de différentes têtes, ou bien qui serait la jonction d’une figure et d’un masque. Dans mon enfance, au Ghana, il m’arrivait d’observer les rites, j’essayais toujours de deviner les traits des visages occultés sous les masques cérémonials.
Depuis, j’imaginais un visage fusionné avec le masque, générant des valeurs neuves. J’ai exploité cela dans un cycle « Les visages, les masques ».
Une autre personne qui a contaminé mon imagination fut Bruno Schulz. Sa prose. Surtout en ce qui concerne La vie des mannequins, la matière défaite de toute trace psychique, la résurrection de la matière morte. J’ai commencé à peindre les mannequins. Mannequins nus, alors dépourvus de leur fonction de porteurs de vêtements humains. Dans mon atelier, j’avais un groupe de modèles : mannequins-vétérans déshabillés et dévastés, recouverts d’une couche prétendant imiter la couleur humaine plutôt mielleuse. Entre les fissures apparaissaient des couches anatomiques d’un mannequin. Une masse formée de la toile grise et imprégnée de colle remplie de rien. Je peignais les mannequins enroulés de couches superficielles en plastique. Je les peignais sur une toile de lin brute non préparée. Je voulais utiliser la ressemblance entre la toile pour peindre et l’épiderme des mannequins.
Au Mexique, j’ai fait un cycle de peintures consacré aux momies de Guanajuato, aussi je tentais de trouver la matière adéquate aux objets. Les momies me semblaient être des sculptures : la destruction d’un corps humain arrêté dans le temps, le processus freiné par les qualités particulières de la terre. Les sacs de jute, sur lesquels je peignais, avaient une structure poreuse. À travers cette porosité était absorbée la peinture. Ce que je faisais, n’était pas tellement peindre d’une façon traditionnelle, mais teindre l’inconsistance de ses toiles de jute, éternellement assoiffées. Répandre avec la main la peinture boueuse sur la surface rugueuse de sac ressemblait plus au procédé de sculpture. Des sacs de jute en soi déglingués et effilochés semblent être d’une matière peu durable, en plein processus de destruction. De Magdalena Abakanowicz, j’ai pris le concept de la transformation de matière éphémère en valeur artistique. Elle justifiait la création dans des matériaux éphémères par rapport à sa réticence de contribuer à élargissement de la grande poubelle des ambitions humaines.
La troisième personne dont j’étais inspirée était Tadeusz Kantor — bien que je ne me sente pas tant lié avec lui qu’avec les précédents déjà mentionnés —, mais particulièrement à son idée du Théâtre de la Mort, la résurrection de la réalité accomplie et le rôle important que jouent les mannequins dans son art, me lie à lui d’une manière spéciale.
Une conception intéressante de mannequin : le comédien le porte sur le dos. Mannequin-bagage du passé duquel on ne peut ni s’alléger ni se détacher. Mannequin-périmé lié au comédien avec les cordes, et en même temps le moi mort d’un personnage.
Convergences inespérées, c’est que Kantor était aussi fasciné par Witkacy.